LA TRAGEDIE CATHARE
GUERRE SAINTE
OU GUERRE DE CONQUETE ?

par Martine Planes Corbière

 

Au XIII ème siècle, le sud de la France et plus particulièrement la zone délimitée par Foix, Toulouse, Albi et Béziers fut l’objet d’une guerre impitoyable qui opposa ses habitants et leurs seigneurs aux envoyés du pape et à ses soldats.

Cette guerre parfois appelée « Croisade des Albigeois » fut plutôt une croisade contre les Albigeois, c’est à dire contre les cathares. Une « hérésie », le catharisme s’est développée dans cette région et finit par paraître dangereuse aux yeux de l’Eglise romaine.

Tout se terminera par un bain de sang et l’intégration du Languedoc au royaume de France. Faut-il alors parler de guerre sainte ou de guerre de conquête ? Ce court résumé appelle de nombreuses questions.

I Le contexte

Pour comprendre le déroulement des événements qui ont conduit à cette tragédie, il faut avoir en tête le contexte politique, économique et religieux du Languedoc au XIIIème siècle.

1) Le régime féodal

Il est important de connaître les mécanismes principaux du régime féodal français. On appelle régime féodal le cadre dans lequel s’inscrivent les relations entre les seigneurs. Des obligations de service et d’obéissance sont déterminées entre un vassal et son suzerain. A la tête de cette pyramide, le roi est le « suzerain des suzerains », le souverain.
Charlemagne a généralisé la coutume selon laquelle le roi remet à ses fidèles un « bienfait », un « bénéfice », en général une terre avec tous les droits qui y sont attachés. Au départ, l’usage de cette terre était strictement personnel mais petit à petit, il est devenu héréditaire.
Le vassal reçoit symboliquement sa terre lors de la cérémonie de « l’investiture ». Cette cérémonie est avec « l’hommage » et le serment l’un des moments essentiels des relations entre le vassal et son seigneur. Le vassal promet à son suzerain l’aide matérielle, judiciaire et militaire.
L’aide militaire comprend :
– le service de garde : un certain nombre de jours de garde au château mais ce n’est pas systématique
– le service de chevauchée : services militaires de courte durée, une semaine, et limité géographiquement. Les vassaux n’ont pas à y effectuer plus de 24 h de marche. Ce service peut être demandé autant de fois que le seigneur le désire. Il tire sa raison d’être des guerres privées incessantes entre seigneurs.
– le service d’Ost : c’est le service de guerre. C’est aussi le plus long, il ne peut être exigé qu’une fois par an. Pendant la période qui nous concerne, le 13ème siècle, il est limité à 40 jours. Le vassal est tenu de venir à la convocation de son suzerain, seul ou, s’il est puissant, accompagné de plusieurs de ses vassaux. C’est au nom de ce service que les chevaliers du nord et du sud vont s’affronter.

2) Un Languedoc en plein essor économique et dominé par les comtes de Toulouse.

Au XIIIème siècle, comme les autres régions de France, le Languedoc connaît un essor de l’agriculture important qui va entraîner le développement d’activités artisanales et commerciales et permettre ainsi l’essor urbain. Toulouse est alors la troisième ville d’Europe après Venise et Rome.
Parmi les nombreux vassaux du roi de France, les Comtes de Toulouse dominent le Languedoc. Ce sont les Raimon (Raimon V, VI et VII). Leurs domaines vont de la Guyenne à la Savoie et du Quercy aux Pyrénées.
Leurs vassaux les plus puissants sont les vicomtes de Trencavel qui possèdent la région de Carcassonne, Béziers, Albi et Limoux et les comtes de Foix.
Ce sont ces seigneurs qui vont s’opposer à Simon de Montfort et aux autres seigneurs du nord de la France.

Toulouse - Le capitole. (Photo Jean-Pierre Cheval)

Toulouse – Le capitole. (Photo Jean-Pierre Cheval)

Albi maison romane (Photo Jean-Claude Planes)

Albi maison romane (Photo Jean-Claude Planes)

La vieille ville de Foix au pied du chateau. (Photo Jean-Claude Planes)

La vieille ville de Foix au pied du chateau. (Photo Jean-Claude Planes)

3) Le contexte religieux : une Eglise éloignée des fidèles

Le haut clergé et les évêques profitent aussi de l’essor économique mais de ce fait, on leur reproche d’être plus préoccupés par l’argent et la guerre que par leur mission pastorale.
Les curés des paroisses sont bien souvent incultes, certains ignorant même les prières. Quant au dérèglement des mœurs du clergé , il a bien souvent été dénoncé.
Les abbayes et les monastères sont restés les remparts de la foi mais ils sont le plus souvent à l’écart des populations. Leur richesse sans cesse accrue suscite des réactions de la part de nombreux laïcs. Une vingtaine de châteaux dépendent par exemple de l’abbaye audoise de Lagrasse.

Au début du XIIIème siècle, toujours pour des raisons économiques, cette Eglise romaine va chercher à retrouver ses droits de perception de la dîme que les seigneurs lui avaient usurpés.
Elle va aussi souhaiter imposer la primauté du pouvoir spirituel (celui du pape) sur le pouvoir temporel (celui des rois et de l’empereur). Elle va par exemple vouloir que les souverains ne nomment plus les évêques et que seul un collège de cardinaux puisse nommer le pape.

C’est dans ce contexte que va se développer le catharisme et que se déroulera la Croisade contre les albigeois.

II Comment définir le catharisme ?

Le catharisme peut être défini par ses croyances fondamentales, son organisation, ses rites et son ampleur.


A Les croyances fondamentales du catharisme

Les fondements du catharisme s’appuient essentiellement sur deux mythes et la lecture du Nouveau Testament.

1 ) Deux mythes de la Création, bases du dogme cathare

Dans la Genèse, deux récits concernent la création de l’homme et peuvent être considérés comme bases du dogme cathare.

1er mythe : A l’origine, le Père céleste avait crée tous les esprits, toutes les âmes. Le diable entra au Paradis par ruse et leur promit terre, or et épouses. Pendant neuf jours et neuf nuits certains esprits le suivirent jusqu’à ce que Dieu ne bouchât le passage avec son pied. A terre, pour les empêcher de retrouver le bonheur perdu, le diable leur fit des tuniques de chair d’où il ne purent plus sortir. Les âmes étaient prisonnières.

2ème mythe : Le diable fit des corps mais ils ne pouvaient pas se mouvoir. Il recourut à Dieu qui accepta de l’aider à condition qu’il accepta que tout ce qu’il mettrait à l’intérieur pour les animer lui appartienne. Depuis ce jour, les âmes sont à Dieu, les corps au diable. Mais les âmes oublient ce qu’elles avaient eu au ciel et ne veulent pas quitter les corps.

De ces deux mythes, il est possible de faire découler les fondements de l ‘Eglise cathare. Nous avons retenu quatre principes fondamentaux. ¨
> Le Christ , envoyé de Dieu, est venu pour rappeler aux âmes leur patrie d’origine : le catharisme est donc une religion du salut et non du rachat. Il n’y a alors ni enfer ni purgatoire.
 » Ce n’est pas pour racheter la faute originelle par sa mort sur la croix que le fils de Dieu est venu sur terre mais pour apprendre aux hommes le geste libérateur le consolamentum, baptême par imposition des mains.  »
>Le diable, incapable par nature de s’approprier les esprits, ne put que retarder l’évasion des hommes vers leur patrie céleste qu’en créant un mécanisme : la reproduction. Elle seule évite au monde mauvais de se retrouver vide. Toute chair née d’un acte sexuel est donc impure puisqu’elle est l’œuvre du diable.
> Il est possible qu’une âme n’ait pu être sauvée par le baptême des mains. Elle reviendra alors sur terre, soit dans une forme humaine soit dans une forme animale. L’hérédité sociale se trouvait ainsi mise à mal. Un roi avait pu être paysan dans une vie antérieure !
> Le dernier principe découle de ce qui a précédé : c’est le dualisme. Le monde relèverait de deux principes, celui du bien et celui du mal. Dieu est bon et tout puissant, donc tout doit être beau. Or, ce n’est pas le cas, donc Dieu est bon mais pas tout-puissant. Il existe donc un Dieu du bien et un principe du mal. A Dieu appartiennent les choses spirituelles, à Satan les choses matérielles. C’est selon ce dernier principe que les cathares n’accorderont aucune dévotion à la croix et que son symbole sera même évacué.

Ce dualisme a pu faire penser à certains auteurs que l’origine du catharisme se trouvait en Asie. Il n’en est rien. Quelles sont alors ses sources ?

2) Les sources du catharisme : au cœur même du christianisme

Les sources du catharisme ne sont pas lointaines, elles s’inscrivent dans un mouvement de pensée du XIème siècle fondé sur une volonté de retour à un christianisme primitif.
Les cathares appuient leur foi sur le Nouveau Testament et les Evangiles de Saint-Paul mais surtout de Saint-Jean.

Les cathares sont bien des chrétiens.

Eux-mêmes se nomment d’ailleurs Apôtres, pauvres du Christ, Chrétiens ou bons Chrétiens.
Ils ont bien pour envoyé le christ venu les sauver mais ils ne sont pas en conformité avec la règle unique de Rome.

Ce sont donc des  » hérétiques « .

Au milieu du XIème siècle, leur expansion est étonnante, de l’Asie Mineure à l’Atlantique et s’il n’existe pas vraiment de liens entre ces  » hérétiques « , l’organisation de leur Eglise et leurs rites présentent bien des similitudes.


B L’organisation et les rites cathares

1) La hiérarchie de l’Eglise cathare

– A la tête de territoires englobant une ville et des environs plus ou moins éloignés, on trouve un évêque. C’est un dignitaire de l’Eglise cathare qui, par son ancienneté a fait ses preuves, mais il reste un membre de l’Eglise comme les autres.
– Les diacres sont d’autres « Bons Chrétiens » mais ils sont chargés d’assurer la discipline sur des territoires plus restreints.
– On trouve ensuite tous les autres « Bons Chrétiens et Bonnes Chrétiennes ». Tous, même les femmes, peuvent donner le baptême par imposition des mains à l’ensemble des fidèles.

Les Bons Chrétiens : des appellations diverses :
En fait, comme le fait remarquer Anne Brenon, aucun terme ne leur convient vraiment. Eux-mêmes se disaient apôtres, pauvres du Christ ou bons chrétiens et les croyants du Languedoc les appelaient « bonshommes ou bonnes femmes« .
Leurs adversaires leur donnèrent d’autres noms, selon des habitudes locales. En Flandre, on les appela « Piphles« , (origine incertaine, peut-être synonyme de glouton, piffre) en Bulgarie des Bougres tout comme en France du Nord qui utilisa également le vocable de « tisserands » et en Italie des « Patarins » (loqueteux). Le terme hérétiques, naturellement employé à cette époque, prit dans le Midi de la France, dès la fin du XIIème, le sens exclusif de cathare et on l’employa par opposition à Vaudois. Quant à celui d’Albigeois, c’est une terminologie des pays d’Oïl. Apparu également à la fin du XIIème siècle, il fut répandu par les moines cisterciens. Ce mot s’était certainement imposé en raison d’une part de la place faite à la région d’Albi dans les rapports au pape de Saint-Bernard lors de son passage dans la région, d’autre part par la tolérance ouverte de Trencavel, vicomte d’Albi, à la différence de Raymond V, comte de Toulouse. C’est seulement au XIXème siècle que l’expression « Albigeois » a été remplacée par le terme « cathare ».

Quelle que soit leur appellation, le baptême par imposition des mains : le consolament(um) est un de leurs points communs.

2) Un seul sacrement : le consolament(um)

Le consolament est le rite fondamental des cathares et leur seul sacrement. Il vaut baptême, ordination et extrême-onction.
Les cathares refusent en effet le baptême traditionnel car d’une part, ceux qui le reçoivent ne comprennent pas ce qu’ils font, d’autre part, ceux qui le donnent ne sont pas purs.
Les futurs Parfaits et les futures Parfaites le reçoivent à la fin de l’adolescence, après une période d’enseignement qui peut durer d’un à trois ans . Le simple croyant le reçoit à la fin de ses jours. Les adversaires du catharisme voyaient là un salut « à bon marché ».
La masse des croyants ne suivait pas tous les rites cathares. Dans les faits, le seul lien qui les reliait à eux était le « melioramentum« , geste de respect comportant abaissement, prière et baiser faits par les croyants chaque fois qu’ils rencontraient un Parfait.
Le « bien » qui, par le consolamentum, pénètre le nouveau Parfait l’amène à adopter des comportements alimentaires particuliers.

3) L’alimentation

Pour ce qui est des nourritures spirituelles, les hérétiques refusent l’Eucharistie. Jésus, par nature n’étant pas un être de chair. Pour ce qui est de leur alimentation, les cathares ne mangent pas de viandes, pas d’œufs, pas de laitages et pas de fromages. Les animaux, exception faite des poissons qui n’étaient pas considérés comme tels, ne peuvent être consommés pour deux raisons :
– pour les consommer, il faut tuer leur âme, ce qui est un geste grave.
– tous sont le résultat d’un accouplement, ils sont donc impurs et impropres à la consommation.

Si les cathares refusent la nourriture carnée, leur attitude est la même envers le contact charnel. Ils refusent catégoriquement le mariage car, disent-ils, celui-ci mène directement à la fornication, péché suprême. D’ailleurs, dans ce pacte malsain, le curé tient ni plus ni moins le rôle d’entremetteur, de proxénète. Pour entrer dans l’Église, le croyant doit donc d’abord se délier de toute attache matrimoniale.

L’Église cathare est, pour ce qui est des carêmes, plus stricte que la romaine. Trois par an, pendant quarante jours, de même que tous les lundi, mercredi et vendredi, les parfaits se contentent de pain et d’eau. Par contre, jamais ils ne se priveront de vin ! mais ils l’allongeaient avec de l’eau.
On pourrait voir dans ces pratiques une abstinence alimentaire mais il semble qu’il s’agisse plus de véritable dégoût que de privation.

Dès la première moitié du XIIème siècle, le catharisme est bien implanté en Languedoc. Quelle furent les raisons d’une implantation aussi localisée ?


C L’Ampleur du catharisme

On a souvent parlé d’un esprit de tolérance plus important qu’ailleurs, d’une réaction face aux richesses du clergé et au dérèglement de ses mœurs pour expliquer son ampleur. Mais si le catharisme est une religion aussi attirante, c’est également pour des raisons économiques et parce qu’elle sait être proche de tous.

1) Les raisons du développement

– Pour Jean-Louis Biget, historien albigeois, c’est la misère qui explique l’hérésie des petits seigneurs qui ont du mal à tenir leur rang. Les petits chevaliers occitans sont appauvris par l’émiettement de leurs biens partagés en l’absence de droit d’aînesse, ce qui explique bon nombre de co-seigneuries. C’est aussi l’heure où les prélats de la réforme grégorienne les somment de restituer les dîmes paroissiales usurpées tout au long du XIème siècle. Pour ces raisons, ces seigneurs ouvrent volontiers les portes de leurs bourgs aux Bonshommes cathares. Eux n’exigent aucun impôt de leurs fidèles puisqu’ils travaillent de leurs propres mains pour vivre.
– La bourgeoisie, nouvelle classe montante, avait elle aussi des intérêts certains à préférer le christianisme qui lui garantissait le Salut sans lui interdire le maniement de l’argent, c’est à dire celui que prêchaient les Bonshommes et les Bonnes Femmes. Elle craignait aussi que les nouveaux occupants français n’amoindrissent leurs libertés si péniblement conquises.
– Quant aux classes populaires, urbaines et surtout rurales, elles n’adhérèrent au catharisme qu’après l’aristocratie et les élites locales.
– Les classes paysannes ne furent gagnées par l’hérésie que très lentement. L’adhésion des familles était largement fonction de celles des familles seigneuriales de leur terroir. Mais par contre, elles la maintinrent et la défendirent, seules, à la fin de son histoire, fin 13ème, début 14ème.

A côté de cette attirance d’ordre purement économique, le catharisme est aussi apprécié des populations car c’est une religion proche de ses fidèles.
– Les prêches se font en langue occitane et non en latin et les Parfaits et Parfaites vivent au cœur même des villages, là se trouvent leurs ateliers car la plupart ont des activités manuelles. Ils gardent ainsi des contacts avec leur famille mais aussi avec les croyants.
– Prières et prêches peuvent être pratiqués n’importe où : dans les bois, les châteaux ou les maisons des auditeurs. Le catharisme est une religion sans église.

Pour toutes ces raisons, l’Eglise cathare se développa en Languedoc au point qu’elle dut s’organiser, se structurer.

2) La structuration

En 1167, dans la petite ville de Saint-Félix de Lauragais se tient une réunion qui sera d’une importance fondamentale pour la jeune Église cathare. Un chef religieux hérétique, Nicétas, venu d’Orient, de Constantinople, est venu organiser quatre nouvelles Églises cathares en Europe, une en Lombardie, les trois autres en Occitanie. Pour ce qui nous intéresse, viennent donc s’ajouter à l’Évêché d’Albi déjà institué ceux de Carcassonne, de Toulouse et d’Agen.
Chaque nouvelle Église avait besoin d’un chef, d’un dignitaire. On choisit donc à l’occasion de la réunion quatre cathares qui, des mains de Nicétas, devinrent des « Bons Hommes ». Ils furent ordonnés afin de pouvoir remplir les fonctions supérieures d’un évêque.

Le Catharisme, par sa hiérarchie, ses rites mais surtout par l’attitude sociale de son clergé finit par constituer une menace pour l’ordre établi. L’attitude tolérante et pacifique de la grande noblesse occitane, le vicomte Trencavel, le comte de Toulouse et de celui de Foix, fut un facteur de diffusion important. C’est à ce titre que l’Eglise de Rome va être appelée à réagir. Après le temps des missionnaires pacifiques, la papauté appellera à la croisade pour lutter contre une noblesse occitane protectrice de l’hérésie puis elle instituera l’Inquisition.

III Les réactions de l’Eglise de Rome

Missionnaires, Croisade et Inquisition

Les cathares étaient donc des chrétiens qui s’opposaient à l’Eglise officielle, celle de Rome. Ils vont payer cher leur défi à cette puissance. L’Eglise réagit d’abord pacifiquement en envoyant des missions d’observation et de discussion.

1) Le temps des missionnaires pacifiques

Moines de Clairvaux
Depuis longtemps, l’Eglise s’était émue des progrès du Catharisme. Envoyé par le pape, Bernard de Clairvaux (le futur Saint-Bernard), en 1147, avait jeté un premier cri d’alarme. Au cours de sa mission, cet abbé qui cherchait à combattre le catharisme par la prédication, n’avait pu se faire entendre .

Plus tard, Henri de Clairvaux, son successeur, participa à une mission dans le Midi en compagnie d’autres légats . Raymond V n’accorda à cette délégation qu’une protection discrète, car les Toulousains étaient déchaînés contre eux et les traitaient d’hypocrites. Henri de Clairvaux se consolera de cette pénible réception en disant que venus à Toulouse, ils n’avaient pas trouvé un seul catholique pour les écouter.

En 1165, se tint près d’Albi le célèbre colloque de Lombers. Les Cathares ne craignaient pas de discuter publiquement. Le pape Innocent III, qui voyait parfaitement la situation, insistait dans ses instructions aux légats sur la nécessité de regagner le peuple. Malgré l’échec des deux prédicateurs, il en revint au plan qu’avait eu auparavant Saint Bernard : combattre l’hérésie par la prédication.

Saint -Dominique

St Dominique. (Photo Jean-Claude Planes)

St Dominique. (Photo Jean-Claude Planes)

L’ultime effort, le plus important aussi, fut celui du moine Saint-Dominique. Lors d’une mission , il avait constaté l’ampleur du catharisme en Languedoc. Après avoir analysé les causes de l’adhésion des populations à l’hérésie, il décida de les convertir par la prédication et surtout par l’exemple. Il adopta donc un mode de vie proche de celui des Bonshommes.
Il s’installa à Fanjeaux, en pleine terre cathare, fonda en 1206 le monastère de Prouille pour abriter des Parfaites reconverties et ne cessa de poursuivre ses prédications. En 1215, il groupa quelques missionnaires et fonda une communauté destinée à mener une vie simple, itinérante et non repliée dans un monastère, vouée à l’enseignement. C’est le point de départ de l’ordre des Dominicains officialisé en 1216

Les controverses
La période est marquée par de longues controverses rassemblant cathares et catholiques, chaque partie exposant ses arguments devant une masse de fidèles et de  » juges  » chargés de nommer celle qui avait le mieux argumenté ses thèses. La controverse de Montréal est restée célèbre. Elle aurait duré plus d’une semaine au terme de laquelle les juges ne purent départager les deux camps.

Un événement allait mettre fin à cette période pacifique et déclencher la croisade.

En 1208, Pierre de Castelnau, abbé de Fonfroide, un des représentants que le pape Innocent III avait envoyé à la rencontre de Raymond VI, fut assassiné. On ignore si le comte de Toulouse, Raimond VI, sympathisant cathare, était coupable ou pas. Peu importe, la réplique de Rome allait être sévère : le pape en appela à la croisade. Deux étapes peuvent être perçues, la croisade du pape et celle du roi.

Abbaye de Fontfroide. (Photo Martine Planes Corbiere)

Abbaye de Fontfroide. (Photo Martine Planes Corbiere)

2) La 1ère croisade : celle du pape

Au printemps 1209, le pape Innocent III appela à la croisade mais le roi de France, Philippe Auguste, lui répondit sèchement que c’était à lui de décider d’exposer en proie à la croisade les terres de son vassal et cousin. Il interdit à ses vassaux d’y participer mais finit par céder , harcelé par ceux que tentaient une croisade facile et des profits possibles. C’est donc au printemps 1209 que la grande armée s’ébranla vers le Midi sous le commandement du légat du pape, Arnaud Armaury.

Les conquêtes faciles des croisés (1209-1213)
Au cours des quatre premières années de la croisade, les victoires furent faciles pour les croisés.


Béziers : les croisés entrèrent dans la ville par ce vieux pont. (Photo Martine Planes Corbiere)

Béziers : les croisés entrèrent dans la ville par ce vieux pont. (Photo Martine Planes Corbiere)

Les remparts de Carcassonne. (Photo Jean-Pierre Cheval)

Les remparts de Carcassonne. (Photo Jean-Pierre Cheval)

Chateau de Lastours (Cabaret) (Photo Martine Planes Corbiere)

Chateau de Lastours (Cabaret) (Photo Martine Planes Corbiere)

En juillet et août 1209, Béziers et Carcassonne tombèrent. Simon de Montfort devint chef militaire de la croisade et vicomte de Carcassonne, Albi et Béziers.
Avant la fin de l’année, le domaine des Trencavel, Montréal, Fanjeaux, Laurac, Saissac, Castres et le sud albigeois étaient pratiquement soumis. Parfaits et croyants avaient fui vers Toulouse, Mirepoix, Montségur ou plus localement vers les citadelles vassales de Trencavel encore debout : Minerve, Termes et Cabaret.

Au cours de l’été 1210, Minerve et Termes tombèrent et le seigneur de Cabaret négocia.

Minerve. (Photo Martine Planes Corbiere)

Minerve. (Photo Martine Planes Corbiere)

Le 3ème été, celui de 1211, la croisade se passa dans le Toulousain.
– Lavaur fut la première cible, 400 Parfaits périrent au bûcher et Dame Guiraude jetée vivante dans un puits et tuée par des jets de pierre.
– L’idée du siège de Toulouse écartée, les forces des Comtes de Toulouse et de Foix éloignèrent un temps les croisés vers le Quercy et l’Agenais.

1213 fut une année décisive. A l’appel des Toulousains, Pierre II d’aragon, comte de Barcelone vint aider les seigneurs du Midi mais le 13 septembre 1213, à Muret, au sud de Toulouse, la croisade triomphait d’une armée pourtant supérieure en nombre. Pierre II y trouva la mort.

Une période d’espoir allait cependant renaître du côté des cathares entre 1216 et 1224.

Lavaur - Stèle en souvenir des victimes du bucher. (Photo Martine Planes Corbiere)

Lavaur – Stèle en souvenir des victimes du bucher. (Photo Martine Planes Corbiere)

Lavaur - Puits où a été jetée Dame Guiraude. (Photo Martine Planes Corbiere)

Lavaur – Puits où a été jetée Dame Guiraude. (Photo Martine Planes Corbiere)

 

L’espoir renaît chez les Cathares
En 1216, pendant que Simon de Montfort s’incline devant le roi de France qui a fini par accepter son hommage, le futur Raimon VII reprend Beaucaire en Provence et Toulouse se soulève contre les croisés.
En 1217, aidé par le soulèvement populaire, Raymond VI reprend sa ville. Après dix mois de siège, Simon de Montfort est tué à Toulouse le 25 juin 1218 par une catapulte actionnée dit-on par les femmes.
A partir de 1218, un après l’autre, châteaux et bourgs retrouvent leurs anciens possesseurs.
En 1224, le fils de Simon de Montfort, découragé, cède tous ses droits méridionaux au nouveau roi de France, Louis VIII .

La suite des événements allait desservir la cause du Languedoc. En 1226, le roi Louis VIII, décide d’en finir avec les Albigeois. Il engagea contre eux une nouvelle croisade que le pape avait fini par approuver.

Toulouse - Plaque commémorative de la mort de Simon de Montfort (mur du théâtre Sorano). (Photo Jean-Pierre Cheval)

Toulouse – Plaque commémorative de la mort de Simon de Montfort (mur du théâtre Sorano).
(Photo Jean-Pierre Cheval)

3) La 2ème croisade : celle du roi

La croisade du roi ne dura qu’une année. Malade, le roi mourut le 26 novembre 1226 sur le chemin du retour.
Après 3 mois de siège, il avait réussi à s’emparer d’Avignon et la « personnalité royale » eut raison des volontés de résistance de certains seigneurs. Le royaume de France s’en trouva agrandi. Louis VIII eut cependant le temps de mettre en place dans le domaine des Trencavel une administration royale et Carcassonne vit l’établissement d’une sénéchaussée.
Après la mort du roi, la régente Blanche de Castille eut à faire face à la fronde des grands seigneurs de France. Les troupes royales présentes sur le terrain occitan eurent beaucoup de mal à contenir les armées méridionales. Aussi, au printemps 1227, Raimon VII et ses alliés avaient repris plusieurs places fortes aux Français. On sait peu de choses sur cette guérilla si ce n’est qu’elle cessa brusquement en 1229 par une décision du pape Grégoire IX.
Grégoire IX poussait désormais à la paix et suggérait même le mariage entre le plus jeune frère du roi, Alphonse de Poitiers et la fille unique de Raimon VII, Jeanne de Toulouse.
Le comte de Toulouse n’eut pas d’autre choix que celui d’accepter le 12 avril 1229 les textes du traité de Paris par lesquels il s’engageait à :
– poursuivre l’hérésie
– permettre l’installation du Tribunal de l’Inquisition sur ses terres mais surtout
– il était dépossédé d’une partie de ses biens
– il abandonnait sa fille à la Cour de France pour qu’elle épouse le plus jeune frère du roi.

Le mécanisme du rattachement du Languedoc à la France était en marche. De religieuse, la guerre devenait politique.
Bons Hommes et Bonnes Femmes venaient surtout de perdre leurs soutiens. Ils allaient alors se réorganiser rapidement et connaître la clandestinité avec la complicité des populations et la protection des faydits armés.

Le comte de Toulouse chercha encore des moyens pour échapper au traité de Paris mais là encore, il allait connaître l’échec, le dernier.

4) le dernier échec du comte Raimon VII

Fin mai 1242, un commando de faydits partit de Montségur pour Avignonnet où deux inquisiteurs allaient être assassinés. C’était le signal du soulèvement du Languedoc. Après cet acte symbolique, les populations se soulevèrent et aidèrent à la reprise de Carcassonne et de Narbonne.
Malgré la coalition organisée par Raymond VII, ses alliés, parmi lesquels le roi d’Angleterre et le comte de la Marche, l’abandonnèrent. C’était le dernier échec de Raymond VII qui se trouvait isolé.

En janvier 1243, Raymond VII devait signer à Lorris une nouvelle soumission à la reine Blanche de Castille. Là, il reconnaissait l’autorité du roi et promettait de laisser libre cours aux procédures inquisitoriales à travers ses états. Il s’engageait également à assiéger Montségur, ce qu’il fit semblant de faire.

La royauté française décida alors de décapiter à sa place ce « castrum  » où faydits et Parfaits avaient trouvé refuge. Après 10 mois de siège, le 16 mars 1244, 225 Parfaits et Parfaites allaient être conduits au bûcher.

La chute de Montségur portait un coup fatal à l’Eglise cathare du Languedoc car de nombreux Parfaits avaient trouvé là un refuge qui paraissait bien imprenable. Le bûcher de Montségur est devenu le symbole de la résistance du Languedoc cathare même si Quéribus, dernière « citadelle du vertige », ne devait se rendre qu’en 1255.

En 1249, au décès de Raimond VII, Alphonse de Poitiers, son gendre, frère cadet du roi Louis IX (Saint-Louis), devenait par succession Comte de Toulouse.

Alphonse de Poitiers et son épouse Jeanne de Toulouse décédaient sans descendance en 1271. Le comté de Toulouse revint aux mains des Capétiens et le Midi Languedocien perdit définitivement son indépendance.

Malgré cette dernière tentative de résistance languedocienne, la situation politique était définitivement réglée en Languedoc, et ce en fait depuis le traité de Paris en 1229. Le catharisme par contre était toujours vivant. Insatisfaite de ses succès guerriers, l’Eglise institua l’Inquisition, une justice sainte. Son fonctionnement, ses pratiques allaient venir à bout de ce que vingt ans de guerre n’avaient pu déraciner : la foi cathare.

5) L’Inquisition des XIIIème et XIVème siècle

Définition
Créée en 1199, l’Inquisition proprement dite commença en 1231. C’est une institution judiciaire (créée par Grégoire IX) pour rechercher, juger et condamner les personnes coupables d’hérésie. Le rôle d’inquisiteur n’est plus tenu (comme au début du XIIème siècle) par les évêques jugés peu zélés mais par les frères prêcheurs, dominicains et franciscains, placés directement sous la tutelle du pape.

Fonctionnement

Toulouse - Maison de l'inquisition. (Photo Jean-Pierre Cheval)

Toulouse – Maison de l’inquisition. (Photo Jean-Pierre Cheval)

La plupart du temps le tribunal possédait un siège fixe : la maison de l’Inquisition. Chaque tribunal comprenait 2 inquisiteurs aidés d’assistants, de notaires, de la police et de conseillers. Les inquisiteurs touchaient une pension annuelle ou une partie des confiscations (le tiers en Italie)
Il arrivait aussi que les inquisiteurs s’installent pendant quelques mois ou quelques semaines dans une localité. Leur objectif était d’éliminer le clergé cathare, Bonshommes et Bonnes Femmes. Pour détruire les réseaux de solidarité familiaux ou villageois, on eut recourt à la délation systématisée. Une partie des biens confisqués à l’hérétique revenaient au délateur.
Les inquisiteurs n’étaient pas très appréciés des populations.
–  » Il a été souvent raconté et l’on répète encore qu’en 1233, à Cordes, trois inquisiteurs furent précipités dans le puits de 100 mètres de profondeur creusé sous la halle actuelle.

Cordes, le puits où ont été jetés dit on les 2 inquisiteurs. (Photo Martine Planes Corbiere)

Cordes, le puits où ont été jetés dit on les 2 inquisiteurs. (Photo Martine Planes Corbiere)

Suivant la légende, l’insurrection marquée par ce triple meurtre aurait été provoqué par l’exécution d’une personne des environs de Laguépie, de Sommard, suspecte ou convaincue d’hérésie. Il est regrettable si l’on tient aux légendes que celle-ci ne repose sur aucune donnée sérieuse. »

– A Albi, en 1234, éclate une révolte contre 2 inquisiteurs venus de Toulouse. On leur reprochait des confiscations de biens, on redoutait l’interdiction de l’usure et surtout l’exhumation des morts soupçonnés d’avoir été des fidèles du catharisme, l’incinération de leurs restes et la dispersion des cendres.

– A Toulouse en 1235 les consuls chassèrent l’Inquisiteur Guilhem Arnaud. Ses agents furent arrêtés. Il fut interdit de vendre quoi que ce soit à l’évêque et aux Prêcheurs : L’évêque Raymond du Fauga, n’ayant plus rien à manger, dut s’enfuir de Toulouse. Le 5 novembre 1235, les consuls, accompagnés d’une grande foule firent expulser les Frères, qui refusèrent de partir d’eux même. Il fallut les porter hors de la ville. Manifestation spectaculaire, mais tentative vouée à l’échec, Grégoire IX intervint, et en mars 1236, les Frères rentrent dans Toulouse. L’épreuve de force ayant tourné en sa faveur, les progrès de l’Inquisition allaient être désormais rapides. Le départ de l’Inquisition, en 1575 pour les Jacobins, ne supprimera pas les mauvais souvenirs liés à ce lieu et les Toulousains continueront à l’appeler Maison de l’Inquisition ou Logys de L’inquisiteur de la Foy.

Pratiques et punitions
En 1252, est autorisé l’usage de la question (torture) sous condition qu’elle ne mit pas en péril ni la vie, ni l’intégrité physique des accusés et qu’il y eut commencement de preuve. Confiée d’abord au bras séculier, elle passe en 1262 aux mains des inquisiteurs. Elle aurait été peu appliquée.

Les peines appliquées étaient de l’ordre de :
> peines temporaires (port de croix d’infamie en feutre jaune, flagellation, pèlerinage) pour les fauteurs d’hérésie, simples croyants
> prison à vie (ou résidence surveillée), bannissement pour les fugitifs, parjures , relaps .
> peine de mort pour les irréductibles, par le feu (un corps réduit en cendres ne ressuscitera pas)

Les derniers cathares
A la fin du 13ème siècle après 20 ans de guerre et 3 générations de « lutte contre l’hérétique », on pourrait croire que le catharisme est en train de mourir.
– Pourtant un ancien notaire du Comte de Foix et son frère, Guilhem et Peyre Authié iront recevoir le consolamentum en Lombardie. Pendant 10 ans, dans le comté de Foix, ils tenteront de ranimer une certaine ferveur cathare mais à Pâques 1310, Peyre Authié et 17 croyants et croyantes seront brûlés devant la cathédrale Saint-Etienne de Toulouse.
– On brûle aussi en 1321 à Villerouge-Termenès un certain Bélibaste. Il a été retrouvé en Espagne, près de Valence à la tête d’une petite communauté cathare en exil. Avec Bélibaste disparaît l’église cathare occitane : après sa mort et jusqu’au milieu du XIVe siècle, on ne brûle que de simples croyants. Nul ne peut à présent donner le consolamentum. Ainsi disparut le catharisme occitan.

Une dernière Eglise cathare subsistera en Bosnie. Ses membres se convertiront à l’Islam à la fin du XVe siècle.

IV Les conséquences de la Croisade contre les Albigeois

Les conséquences de la Croisade furent d’ordre religieux et politique.
– L’Eglise de Rome était venue à bout de ce qui était pour elle une hérésie et elle avait réussi à s’imposer auprès des rois et de l’empereur.
– Le Languedoc, à partir de 1271 était rattaché comme prévu au royaume de France.
– La nécessité de reloger des populations ajoutée à l’essor urbain et à une volonté de regrouper, pour des besoins de sécurité, un habitat dispersé contribua à la multiplication de bastides dans le Midi languedocien. C’étaient des villes ouvertes, sans fortifications, à vocation économique et centrées autour de la halle.
– Quant à Albi, sa région avait donné son nom à la croisade mais pour montrer la force d’une Eglise catholique victorieuse, son évêque entreprit en 1277 le chantier d’une nouvelle cathédrale.

CONCLUSION

La tragédie cathare fut bien dans ses débuts une croisade, une guerre sainte contre les hérétiques cathares. Elle dégénéra en guerre de conquête, mettant à feu et à sang le comté de Toulouse. Ce fut alors le duel du nord contre le sud, des pays d’Oïl contre ceux de langue d’Oc.

Selon l’historien Georges Bordenove, les pertes matérielles et surtout humaines sont difficiles à évaluer : un million de vies humaines au moins, des populations entières ont parfois été exterminées. Cependant les Languedociens remirent en état les terres brûlées, les villages détruits et la prospérité revint.

En 1420, pendant la guerre de Cent Ans, ils refusèrent d’être anglais et aidèrent Charles VII,  » le pauvre petit roi de Bourges  » à sauver sa couronne.

 » Ce n’est pas parce qu’on a éradiqué le catharisme que l’Occitanie a cessé d’exister : elle est demeurée un art, une façon de vivre qui repose sur 2000 ans d’histoire «