Les vaccans

En 1770, des litiges entre la communauté de Prats de Mollo, certains propriétaires et le pouvoir royal sont à l’origine d’un document intéressant donnant une description de la communauté, des lieux et des hommes.
Ce document se trouve dans la série communale de Prats de Mollo en dépôt aux AD66 sous la côte 124Edt141.

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Situation générale:

La communauté de Prats de Mollo disposait sous les rois d’Aragon de privilèges en partie « érodés » depuis l’annexion par la couronne de France en 1659.
En particulier la ville disposait de 4 consuls (5 à Perpignan et 3 dans les autres communautés), Prats se situant en 2ème position dans la province juste après Perpignan. Louis XIV a ramené le nombre de consuls de Prats de 4 à 3, la plaçant au même niveaux que les autres villes, seule la capitale de province se distinguant.

La manufacture de draps est pratiquement l’unique source de commerce. « Prats de Mollo serait la ville la plus misérable de la province sans cette manufacture de draps. »
Les fabriquants de draps sont organisés en « Confrérie de St Michel ». Celle-ci est régie par un conseil de 24 maîtres qui élisent chaque année 4 administrateurs appellés « pabordes ».
Ce sont eux qui veillent au respect des règles et font éventuellement en cas d’abus un rapport au conseil. Seul le conseil a le pouvoir de correction. Peu de propriétaires exploitent eux-mêmes leurs terres. Ils en donnent généralement la culture à des laboureurs.

Le bétail est très important en nombre car il est nécessaire pour fumer les terres. Beaucoup de terres sont incultes, d’où un grand nombre de défricheurs. Le bois est également une denrée très importante. Les fabriquants de draps en consomment beaucoup pour la teinture. Tous les draps sont teints en laine sauf les noirs teints en pièce.

La communauté de Prats se divise en la ville et ses voisinages dont les plus importants sont Mirailles, La Presta, St Sauveur, La Parcigola, Coma et Banat.
Le nombre des habitants de la campagne est de beaucoup supérieur à celui des habitants de la ville.

« Il y a 8 heures de marche du levant au couchant et presque autant du midy au septentrion » .

La production des métairies consiste en seigle, gros millet sarrasin et blé noir. Un peu d’avoine et d’orge mais pratiquement pas de froment.
Les métairies sont classées en 3 classes: celles qui sont voisines de la ville, celles du milieu et celles qui confrontent les vaccants inférieurs. Les « vaccans » sont les prairies (alpages).

C’est à propos de ces « vaccans » que se situera la principale polémique.

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La polémique des « vaccans »:

Dans toutes ces métairies « il n’y a pas un pouce de terre qui n’appartiennent à l’une ou l’autre ».

Les métairies de la 1ère et 2ème classe (proches ou pas trop éloignées de la ville) sont possédées par de « Bon titres ». Mais les métairies de la 3ème classe « ont fait des usurpations exorbitantes dans les vaccans. »

Pour certaines les 2 tiers des terres ont été usurpées. Ces usurpations sont récentes et chaque année il s’en fait de nouvelles.

Ors les vaccans, prairies publiques sont nécessaires à tous. Les terres de Prats de Mollo sont maigres et ne produisent qu’à force de fumier. Elles ne peuvent avoir le bétail nécessaire au fumage des terres qu’en les envoyant en été dans les  » vaccans ».

Par ailleurs comme les « vaccans » peuvent nourrir beaucoup de bétail en été la communauté accepte du bétail à laine d’espagne (appellé gallorse).
Celui ci rapporte 4 livres par cent bêtes soit en moyenne 600 livres par an.
On accepte aussi du gros bétail (vaches et juments) qui rapportent elles 700 livres par an à la communauté.
Ainsi, c’est près de 15000 bêtes à laine qui paissent chaque année dans les vaccans.

Donc avec l’appropriation des « vaccans » publics par les fermes les plus proches, la communauté perd de l’argent et la vie même des autres fermes est en péril car faute de fumier les terres deviendraient incultes.

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Présentation des réclamations au Roy:

En 1769 a été publiée une déclaration Royale au sujet des bois qui n’a pas donné satisfaction à la communauté.

Elle a été « méditée » entre le fermier des domaines (représentant du roi) et François de la Trinxeria avec l’idée de favoriser quelques propriétaires des métairies attenantes aux vaccans (dixit).

Il est d’ailleurs précisé dans ce texte que le Sieur de la Trinxeria est le descendant de celui qui « le siècle dernier mit la ville de Prats de Mollo à 2 doigts de sa perte ». D’ailleurs le sieur de la Trinxeria propriétaire de la métairie de la Plana n’a pu retrouver les titres de sa métairie « dont les 2 tiers sont au moins usurpés ».

On a ainsi laissé croire au roi que les propriétaires des fermes attenantes aux « vaccans » avaient perdu quelques titres de propriété que celà n’était pas très conséquent et qu’il fallait régulariser cette situation. Ors tant pour les paturages d’été que pour ramasser le bois de genêts et buis pour se chauffer, les « vaccans » publics sont indispensables à la communauté.

S’ensuit une description apocalyptique pour le cas où ces espaces publics deviendraient privés:
Les fermiers ne pourront plus vivre, ils devront s’expatrier en espagne.
Les terres deviendront incultes faute de fumier.
Les habitants vont mourrir de faim et de froid par manque de bois.
Les drapiers devront cesser leur activité, richesse de la ville.

Il est donc demandé au roi de ne pas « inféoder ces vaccans » et de les garder dans l’espace public.
C’est ce qui a du être fait puisqu’ils sont arrivés ainsi jusqu’à nous.