La farga de Banat en 1651

 

forgecatalane

Le fer était un matériau indispensable pour la confection des outils et des armes.
Pour le produire il fallait 3 ressources :
– Le minerai
– Le bois pour faire du charbon de bois
– L’eau pour mouvoir un système de soufflerie dans les fourneaux et un martinet pour battre le fer.

Dans notre Haut Vallespir, on avait le minerai du Canigou, les forêts, et l’eau des torrents. C’est la raison pour laquelle les forges étaient nombreuses. Aujourd’hui encore de nombreux hameaux portent ces noms : La Farga del Mitg, La Farga de Galdares, La Farga d’en Bosch, etc.
Jean Ribes dans son volume 2 relate bien ce qu’étaient ces forges, et en particulier le rôle important de l’exploitation forestière pour la production du charbon. Cette exploitation n’était pas particulièrement bien vue par les habitants car elle dévastait (et le mot n’est pas excessif) la forêt.

Dans la côte 124Edt152 des archives communales de Prats de Mollo en dépôt aux AD66, il y a plusieurs documents relatant des contrats, attestations, etc concernant des forges. Nous avons étudié 2 documents , l’un de 1587 et un autre de 1651. D’autres seraient également intéressants mais plus difficiles à transcrire, le plus ancien étant daté de 1492.

Document de 1587

Il s’agit d’une  » Concordia  » entre les propriétaires de la Farga de St Guillem et  » l’Universitat  » de Prats. Il est dit que les propriétaires qui sont Joan Costa  » negociant de la vila de Céret  » et Joan de Autoner  » sastre del loch del Tech  » se doivent de  » mantenir y proveir moltas personas y molta gent tant en pà i vi, carn, carnsalada, saginadas, sal, oli….  » .
Les propriétaires de la forge peuvent vendre ces produits mais ils devront pour cela payer une taxe à la communauté de Prats ( » Universitat « ).
Cette taxe est pour chaque année de  » 1 quintar y mitg de ferro verga « . Ce quintal et demi de fer sera payé en 2 parts égales à la Noël et pour la St Jean (24 juin).

La forge est située à la Comba de St Guillem de Combret, et avant d’être  » molina y farga de fer ferro  » c’était une  » molina serradora « . C’est à dire une scierie.

Document de 1651

Ce document qui concerne la Farga de Banat est plus volumineux et plus riche et il nous renseigne en particulier sur l’importance du bois pour ces  » fargues « . C’est Julia Balando Génois qui la fit construire en 1515, puisque le document précise  » ….y que fonch antigament de Julia Balando genoves qui aquella feu fer y de nou construir en dit lloch de Banat conforma consta ab acta de concordia rebut y testifficat en poder de Bernat Llado nott als vint y sinch del mes de janer mil sinch cents quinsa ……  »
Comme il est dit qu’il la faite de  » nou construir  » on peut penser qu’il y avait déjà une forge avant 1515 à Banat.

Cet acte de 1651 a été passé entre les propriétaires de la forge (Francesch Camps d’Arlas y Quirch Cabanas de St Llorens de Cerdans) et  » l’universitat  » de Prats . C’est parce que les propriétaires coupaient du bois hors des limites fixées et ne payaient pas les taxes que les consuls de Prats firent arrêter et saisir 8 mulets avec leurs charges de charbon ainsi que les muletiers qui les conduisaient.

Les deux parties durent s’expliquer et c’est grace à cette « concordia » que nous avons toutes ces informations.

Lieux où les charbonniers font du charbon :

Sur la carte jointe les lieux cités dans la  » concordia  » ont été marqués d’une croix. Il s’agit des versants de la vallée de la Coumelade depuis Puix Rodon jusqu’à la Comba de St Guillem.
Mais les charbonniers de 1650 n’ont pas respecté ces limites fixées en 1515 puisqu’ils ont fait du charbon aux  » ….predits llochs de la Pina, Bach dels Sarrahins, Cerra Vernet, La Llosa, Cabananriba, Aplegadors, per ser dits llochs molt mes amunt fora dels predits limits ……  »
Par ailleurs les charbonniers coupaient tous les essences d’arbres alors qu’ils auraient du laisser les pins et sapins qui doivent être réservés à la population pour les constructions.  » …. Pus no reparavan dits carboners endevastar y tallar a la soca sols los faixs sino tambe havets y pins que son arbres dels quals molts particulars habitants pobres brassers de dita vila y terme de Prats de Mollo fent de aquells molts cayrats y cabirons ……..  »

Les consuls de Prats reprochent également aux propriétaires de la forge de ne pas payer la taxe sur le vin vendu , taxe de  » 3 reals per carrega de vi « , ni la taxe de 6 deniers par quintal de fer sorti du terroir de la ville « 6 diners per quiscun quintar de ferro que se fa y fabrica en las fargas del terma de dita vila de Prats de Mollo y ix fora de dit terme « .

Pour toutes ces raisons la ville de Prats trouve juste la saisie des mulets.  » … pogue degudament justar la aprehensio y captura de dits matxos…..  »

Bien sur les dits Camps et Cabanas contesteront les faits, mais comme les deux parties veulent se réconcilier  » … desitjant venir a una verdadera pau i concordia e fugir tot plet i questio en los temps presents en los quals, la guerra, fam y peste en molta part tant lo principat de Catalunya com los comtats de Rossello y Cerdanya …. « , ils décident de passer cette « concordia ». « Concordia » passée en présence de noble Don Joseph de Sorribes y Paguera Senyor y Baro de la Baronia de Cabrenys.

Dans ce pacte les parties renoncent à tous les procès qu’il pourrait y avoir en cours, ainsi qu’à réclamer des dommages qui auraient été causés avant le dit jour.
Les consuls vendent l’exploitation des bois excepté pins et sapins dans les limites suivantes :  » de la collada de Coll Baix, amunt tirant fins a Cabananriba y fins la ribera que devalla de Comalada y de la barracha de Cabananriba arribant a un roch gros que es mes alt de la font de la Llosa…….  »
Cette vente se fait au prix de 72 ducats valant 144 louis monnaie du Roussillon.
Les propriétaires de la forge payeront chaque année, comme ils payaient auparavant, un quintal et demi de fer pour pouvoir vendre des produits aux familles  » ….pa, vi, sal, oli, carn, pesca salada….  »

Que retenir de ces 2 documents :

cartefargabanat

Les forges (du moins celle de Banat) étaient de vraies entreprises avec charbonniers, muletiers, contremaîtres (mayor d’homes).

Les personnes qui y travaillaient et vivaient étaient si nombreuses qu’on y organisait les ventes de produits alimentaires. Parmi ces produits, le vin avait une grande importance au même titre que le pain, le sel ou l’huile.

Les zones déboisées pour une forge sont immenses.

Imaginons tout ce monde travaillant dans les bois souvent difficiles d’accès, et les fumées des charbonnières s’élevant dans le ciel azur de la Comelada.