Curés de l’Albigeois au début du XVIII ème
De la surveillance des paroissiens à la violence

par Martine Planes Corbière

 

A la mission traditionnelle du curé de village ou de paroisse s’ajoutait aussi la surveillance plus ou moins directe des paroissiens. Pour jouer ce rôle de bon pasteur, certains n’hésitèrent pas à utiliser des manières pas toujours  » très catholiques « .

DES PAROISSIENS SOUS SURVEILLANCE

Saint-Lieux-Lafenasse : une jeunesse contrôlée

Un des principaux amusements regroupant la jeunesse était le bal. Seigneurs et consuls l’acceptaient généralement bien que certains, subissant l’influence de l’Eglise, aient pu l’interdire et poursuivre devant les tribunaux la jeunesse qui se montrait désobéissante.
C’est ce qui arriva en octobre 1717 à Pierre et Barthélémy Panis, paysans de Saint-Lieux et à Michel Soulet du masage de la Calcelié.
Le dimanche 3 octobre, ils étaient allés trouver la seigneuresse de Saint-Lieux pour lui demander de bien vouloir leur donner la permission de danser le jour de Saint-Léon. Ils l’avaient trouvée à l’église et elle leur aurait répondu qu’ils avaient bien fait d’y aller. Mais ils entendirent que Messieurs les missionnaires avoit dit qu’elle ne pouvoit pas donner cette permission sans se rendre coupable de tous les péchés qui s’y commettroit. Elle leur répondit qu’elle ne vouloit pas se damner pour eux et qu’ils n’eussent pas à danser. Il s’ensuivit une plainte déposée contre eux le 21 septembre par le procureur juridictionnel au nom de la seigneuresse puisque néammoins au préjudice de cette défense les sus-nommés entrepriroit le soir dud. iour de la fête de saint-Lieux d’aller louer des joueurs de hautbois lesquels settans randus le landemain iour de dimanche incontinant après la messe de paroisse feurent au-devant de l’église dud. Saint-Lieux garssons et filles danser publiquement nonobstant l’avertissement qui leur feut donné de ne pas le faire par Monsieur Solier prêtre et vicaire dud. Saint-Lieux et qu’ils recommencèrent de continuer après que les vêpres feurent chantées.

Nous pouvons voir, dans ce refus, le témoignage d’une volonté religieuse de contrôle et de restriction et un désir de modification des conduites. Ce procès prouve aussi l’échec de ces buts. Les fonctions même des fêtes imposent leur permanence, […] elles sont pour la jeunesse affirmation de puissance et contrôle du terroir.

Veillée à Vindrac : une intervention musclée

En hiver, quand la période des fêtes était terminée, les veillées réunissaient jeunes et vieux, hommes et femmes de plusieurs familles. Filles et garçons s’y fréquentaient et les médisances circulaient. L’historien Jean-Louis Flandrin les décrit comme des réunions où le babil […] y est le fondement, le travail […] le prétexte.
Le clergé se donnait aussi sur elles un droit et un devoir de surveillance. Le jeudi 25 novembre 1734, Jean Choron, laboureur d’Alayrac est allé à Vindrac, dans une veillée où les filles et les femmes ont l’habitude de s’assembler pour filer. Maître Sabatier curé de Vindrac a entendu parler de lui et on lui a dit où le trouver. Vers les huit heures du soir, armé d’un bâton, il est allé l’appeler. Quand il fut sorti, il lui donna des coups de bâton sur son corps, sur sa tête, sur son visage et sur son bras gauche. Un témoin, Pierre Capou ajoute qu’après l’avoir battu, le curé rentra dans la veillée et ayant querellé les femmes et les filles, il leur dit  » Rassurez-vous, tout est fini « .
Me Sabatier ne se contentait pas d’avoir un œil sur ses paroissiens, il exerçait aussi un contrôle assidu sur des membres de sa famille.

Jean Assié, dit l’Albigeois était allé une après-midi à Vindrac, à la métairie du sieur de Boscaud, son maître, et eut la malchance de croiser sur son chemin la sœur du curé de Vindrac. Celui-ci le rejoignit et l’invita à le suivre chez lui. Dans une chambre basse, au fond du degré, près de la cour…, tout émeu de colère, le curé le prend par les cheveux, l’auroit traîné à terre par la cour, lui auroit donné plusieurs coups de pieds sur son corps et l’auroit peut-être tué … sans le secours de la sœur du curé venue expliquer à son frère que le pauvre Jean n’avait rien fait !
Le curé se serait alors retiré dans sa maison, peut-être est-ce pour solliciter le pardon divin !

Une surveillance parfois trop rapprochée

Catherine Cailhol avait 18 ans, était native de Sauveterre de Rouergue et partageait le sort de la plupart des jeunes filles issues du monde rural. Depuis deux ans, elle était domestique chez le sieur Gasaignes, bourgeois et consul d’Albi. Près de là, logeait Monsieur de Tanus, prêtre de Sainte-Cécile .
Il surveillait les allées et venues de ses paroissiens et tout particulièrement ceux du Sieur Gasaignes et de son épouse. Il profitait de leur absence pour rendre journellement visite à leur jeune domestique et abusant de son bas âge et de la faiblesse de son sexe l’auroit obligée à malverser avec luy.
La jeune fille déclara qu ‘elle avait déjà déposé une plainte mais le sieur de Tanus lui aurait à ce moment-là demandé d’accuser son valet Bernard Nespoulet. Depuis, il avait essayé de la faire accoucher à métairie appelée  » au Clot « , à Valence appartenant à un de ses parents, le sieur de Pomayrols. C’est là que la jeune fille fut récupérée par sa tante maternelle Marie Cassan, épouse de Pierre Puech et ramenée Rue de l’Ecole Mage.

Nous n’avons pas rencontré ce type de plainte dans les zones plus rurales. C’est en ville que ces jeunes filles venaient majoritairement se louer. D’autre part, le mode de vie urbain de ces bourgeois albigeois, leurs absences fréquentes du domicile, facilitaient nous l’avons vu, la visite de personnes extérieures à la maison. A cela, ajoutons le respect et la confiance qu’inspirait au sexe féminin l’habit clérical.

LE CABARET : RENCONTRES ET SOURCES DE LITIGES

Aux formes de plaisirs populaires, bals et veillées, réunissant un nombre plus ou moins important d’hommes et de femmes, il convient d’ajouter la fréquentation des cabarets qui étaient souvent le théâtre de violences. Certaines étaient réglées sur place, d’autres donnaient lieu à des règlements de compte physiques et verbaux.

Un cabaret de Cordes, source de litiges

Jacques Toulze, dit Clergue, laboureur de Cazelles à la Clerguié, se serait rendu à Cordes en mai 1721 chez le sieur Journès, hoste de la Boutelerie pour y faire collation avec une personne amie. Etant monté à une chambre pour prier l’hôte ou l’hôtesse de lui donner du vin, il y aurait trouvé Me Celerie, prêtre et vicaire de Cazelles, qui était à table avec quelques garçons chirurgiens, lequel aiant aperçu le suppliant qu’il connaissoit comme un de ses paroissiens, lui aurait demandé ce qu’il venait faire. Ayant appris qu’il demandait l’hôte, il se seroit levé de table et luy auroit dit de le suivre à la cave, que c’estoit lui qui connaissoit le bon vin… Le suppliant estant passé à la cuisine, auroit pris une bouteille vide et s’estant approché de la porte de la cave, Célerié se seroit mis à pisser en disant …  » Tu peux en boire sans crainte d’estre incomodé  »

Jacques Toulze se retira sans répliquer, scandalisé d’une action si honteuse de la part d’un pasteur qui devrait donner l’exemple. Mais l’affaire ne s’arrêta pas là.

Règlement de compte au confessionnal

Le jour de Pâques, Jacques Toulze apprit que Célarié confessait les hommes de la paroisse au presbytère. Il s’y rendit et y trouva plus de quinze personnes. Le curé se seroit approché de luy disant qu’il ne pouvait pas le confesser parce qu’il auroit dit qu’il …vouloit luy pisser dans la bouteille, qu’il n’avoit qu’à sortir dehors, qu’il estoit un insolent et sans autre prétexte luy auroit donné un soufflet…

Course-poursuite à l’église de Cazelles

eglise-cazelles

A Pentecôte, Mr. Le curé ne semble pas s’être calmé. Avant de commencer vespres, le curé Celerie auroit pris le batton de la croix et couru après le marguillier pour une histoire de dix sols.
Malgré ces quelques affaires, les membres du clergé apparaissent plus souvent victimes que coupables dans les affaires de violence. La plupart de leurs paroissiens leur faisaient confiance et c’est vers eux qu’ils se tournaient pour obtenir aide et conseils dans les moments difficiles de la vie.